La relation au travail en Afrique du Sud

Patrick, expatrié français, raconte cette anecdote qui illustre la relation au travail et à l’entreprise, en Afrique du Sud et en France.

Notre Groupe industriel français a envoyé des auditeurs internes, dont la cheffe de mission, dans notre usine près de Johannesburg. Dans la procédure Groupe, les auditeurs doivent interroger le Financial Controller en personne et physiquement (pas de visio possible).

Mais le Financial Controller, un Sud-africain blanc de 30 ans, originaire du Free State, avait posé ses congés avant l’annonce (toujours à la dernière minute) de la mission d’audit.

La cheffe de mission insiste : « Je veux voir le Controller ».

Devant elle, et devant la DRH – Sud-Africaine de mère anglaise et originaire de Johannesburg -, Patrick appelle le contrôleur Fanie sur son portable :

Patrick : Fanie, I need you on site. The auditors insist.

Fanie : I can’t. I’m at the swimming-pool with my kids.

Patrick : Can you come to the plant after the swimming-pool? Just half an hour.

Fanie: I can’t leave my kids alone.

Patrick : Come with your kids. Karen will take care of them.

Fanie : No, I can’t.

Fanie ne dit même pas “sorry”. Pour lui, c’était impensable de laisser ses enfants, ne serait-ce qu’une demi-heure, alors qu’il était en congé.

Patrick est tellement énervé qu’il jure en anglais en raccrochant (« F… ! »).

Karen, très classe, lui dit : « Patrick, watch your language!”. 

Pour la petite histoire, Fanie a quitté le Groupe quelques mois après, pour reprendre la ferme familiale dans le Free State.

COMMENTAIRE

Avec le recul, on ne peut qu’admirer Fanie qui a su résister à une pression colossale (Patrick, son chef, les auditeurs, le Groupe) pour imposer sa philosophie de vie. On ne peut pas lui en vouloir. Cet incident illustre bien le choc culturel, qui peut déboussoler même le manager rodé. 

D’un côté, des expatriés (Français ou autres) qui arrivent dans un pays avec un certain nombre d’avantages (voiture, belle maison, salaire confortable, scolarité des enfants…) et qui se sentent redevables. En outre, ils arrivent avec les ‘objectifs du siège’ en forme de KPI (Key Performance Indicators). Ils sont donc ‘axés sur la tâche’, ce qui est rationnel dans leur système : ils donnent les consignes, les locaux vont les exécuter. Du coup, ils travaillent des heures monstrueuses, sont sur mille sujets à la fois, pressent les collaborateurs au maximum.

En face, des Sud-Africains qui attachent beaucoup d’importance à leur famille, à leurs amis, au « braai », au sport, etc.  C’est l’attachement à la« work-life balance ». Quitte à commencer très tôt, sauter le repas de midi (hérésie pour les Français) pour pouvoir partir tôt et éviter l’heure de pointe en voiture (transports en commun quasi-inexistants dans le pays). De plus, l’organisation sociale est différente : il n’existe pas de réseau sophistiqué d’aides sociales pour la garde d’enfants, comme en France. Les parents y regardent à deux fois avant d’appeler une baby sitter.

En conséquence, les Français prennent souvent les Sud-Africains pour des paresseux et des incompétents. C’est très français de faire des heures à n’en plus finir et de mépriser ceux qui partent tôt.  Pour peu que les résultats ne soient pas là, et que le Groupe presse, la tension devient encore plus forte.

Comment les faire travailler ensemble ?

En Afrique du Sud le manager doit être axé sur la personne, sur la relation. Sur sa propre personne d’abord, car les diplômes qui le rendent légitime en France (grande école par exemple) n’ont pas de sens pour son équipe sud-africaine. Il doit chercher son autorité ailleurs. Les salariés sud-africains en ont besoin car ils ne sont pas aussi autonomes qu’en France.

Sans généraliser bien sûr, la culture de la communication des Français est « implicite ». Pour d’autres cultures plus explicites, il est parfois difficile de comprendre ce que veulent les Frenchies.  Un expatrié dit que souvent des collègues sud-africains venaient lui demander de leur « traduire » ce que voulait le chef ou le Groupe.

 L’expatrié doit donc

     être très pédagogue sur le projet du Groupe, le pourquoi et le comment de la stratégie, car il  n’est plus dans l’entre-soi du siège.

   ensuite s’ouvrir à son équipe, car les Sud-africains ont horreur de la distance. Un manager français raconte que chaque vendredi matin il prenait le café avec dix ouvriers sur la chaîne de montage, ce qui lui donnait une légitimité. Chacun doit le faire à sa manière, mais être axé sur la personne, sur la relation, est plus efficace que d’être axé uniquement sur la tâche.

 Frédéric Malet et Philip Scheiner

 

 

   

15 novembre 2021
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